Du Figaro :
ANALYSE – Le ministre de l’Intérieur a estimé que les ONG chargées de secourir les migrants en Méditerranée «ont pu se faire complices des passeurs», provoquant un tollé à gauche. Cette polémique reflète surtout une situation qui n’a guère changé depuis des années.
Vous voulez incarner un discours ferme sur l’immigration?
Pointez le rôle ambigu des associations humanitaires.
La recette est infaillible: ce sera le tollé au sein des organisations non gouvernementales, ces ONG sur lesquelles les États se reposent largement pour gérer la crise migratoire.
Et vous glanerez peut-être des voix à droite.
Vendredi dernier, Christophe Castaner n’a pas lésiné:
«Les ONG jouent un rôle essentiel pour apporter une aide aux migrants – cela ne fait aucun doute -, toutefois, en Méditerranée centrale, on a observé, de façon tout à fait documentée, je vous le dis, une réelle collusion, à certains moments, entre les trafiquants de migrants et certaines ONG», a-t-il dit.
«Documenté», en principe, signifie que le premier flic de France dispose d’éléments tangibles, au cas où il faudrait s’en servir.
Précision de l’intéressé:
L’hôte de Beauvau en a déduit tout naturellement que «les ONG, dans ce cas-là, ont pu se faire complices des passeurs. Les ONG doivent avoir une attitude responsable».
Et voilà comment, en un week-end, un dossier qui, sur le fond, n’a guère évolué, a basculé dans la polémique.
Le Rassemblement national (ex-FN), par la bouche de sa tête de liste pour les européennes, Jordan Bardella, s’est attribué l’antériorité de ces propos, en ironisant sur le fait que son parti avait «eu raison un peu tôt».
Yannick Jadot, chez les écologistes, s’est dit, quant à lui, «profondément choqué» par les propos du ministre.
Tout comme Manon Aubry, Raphaël Glucksmann ou Benoît Hamon à gauche.
«C’est extrêmement surprenant de voir un ministre de premier plan reprendre des arguments de l’extrême droite italienne qui n’ont jamais fait l’objet d’aucune démonstration», a réagi la directrice générale de SOS Méditerranée.
Cette ONG qui affréta, avec Médecins sans frontières (MSF), le bateau Aquarius, entre 2016 et 2018, au large de la Libye – et qui fut, pour cela, l’objet de nombreuses controverses -, a aussitôt promis d’attaquer en diffamation ceux qui «criminalisaient» les actions de son bateau de sauvetage en mer.
La présidente d’Amnesty International France a déploré, pour sa part, des «accusations dangereuses».
Et pourtant, elles ne sont pas nouvelles.
En juin 2018, s’agissant du navire humanitaire Lifeline, que Malte devait laisser accoster, Emmanuel Macron lui-même s’en était fait l’écho.
«On ne peut pas accepter durablement cette situation, car au nom de l’humanitaire cela veut dire qu’il n’y a plus aucun contrôle.
À la fin on fait le jeu des passeurs en réduisant le coût du passage pour les passeurs. C’est d’un cynisme terrible», avait déclaré le chef de l’État, peu suspect de courir derrière Matteo Salvini. De fait, il y a eu des soupçons.
La même année, en Sicile, le procureur de Catane avait ouvert une enquête sur une possible collusion entre les passeurs et la flottille humanitaire. Il n’a pas hésité à imaginer que certaines ONG puissent être «financées par les trafiquants».
Mais rien d’établi au plan judiciaire.
Faudra-t-il un jour que des documents sortent, qu’un procès se tienne? Qui y aurait intérêt?
Tête de liste LREM aux européennes et ancienne secrétaire d’État aux Affaires européennes, Nathalie Loiseau a cherché la voix de l’apaisement en déclarant, ce lundi:
«Quand vous venez en aide à des gens qui se noient, vous le faites avec sincérité. Ce qui est vrai, c’est que les passeurs, ils n’attendent que ça.»
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