vendredi 5 avril 2019

J. Caplat, De la manipulation des sciences sociales au profit d'une idéologie

J. Caplat@nourrirlemonde

Une journaliste radio a commis un thread où elle affirme que la "théorie du grand remplacement", n'est pas une théorie mais une peur basée sur des faits. Elle navigue entre "Fake SHS" & racisme.

Commençons par l'invocation abusive des sciences sociales.

Selon elle, "la science démographique" aurait démontré la réalité d'un tel remplacement... aux USA. Passons sur les bases des études étatsuniennes, pour en rester au biais scientifique délirant et inadmissible. Jamais un·e scientifique n'osera invoquer une situation dans quelques États des USA pour "démontrer" un fantasme européen. Cela reviendrait à extrapoler la biologie des batraciens en médecine humaine : du pur délire.


Outre ce biais de principe, il existe ici une faute grave. Car les États des USA qui connaissent actuellement une évolution culturelle "latino" sont très précisément des États qui appartenaient au XIXe siècle à l'Espagne, et que les USA ont sciemment "peuplés" d'anglo-saxons dans le cadre de la théorie de la "destinée manifeste", pour ensuite en revendiquer la souveraineté (et provoquer ici et là des sécessions et soulèvements). Autrement dit, la dynamique démographique actuelle dans ces États n'est que la reprise d'une dynamique historique que l'idéologie impérialiste avait tenté de manipuler. Il ne peut y avoir strictement aucune "comparaison" valable avec l'Europe. Aucune. Néant. Nada. L'invoquer comme argument est une insulte à la démographie et aux sciences sociales.

Si elle parle au niveau national, c'est plus que délirant. La proportion d'immigrés en France est dérisoire, et ça c'est la "science démographique" qui le dit (et les flux migratoires restent très faibles).

Si elle parle de ressenti à l'échelle de certaines villes, c'est extrêmement significatif et instructif. Car ce "ressenti" possède deux dimensions. La première relève encore des SHS (sciences humaines et sociales) : l'histoire et la démographie nous prouvent que ce phénomène dans quelques villes est d'une totale banalité. Il y a à peine plus d'un siècle, il en était de même dans de nombreuses villes de Provence (immigrés italiens) ou de Lorraine (immigrés polonais et italiens). Qui, aujourd'hui, oserait dire que les Italiens ont "grand-remplacés" les Français en Provence, ou que les Polonais ont "grand-remplacé" les Français en Lorraine ? Sur le plan sociologique ou démographique, ces cas historiques démontrent que ce fantasme n'est qu'un fantasme.

Mais cela conduit à la 2e dimension de cette référence au "sentiment de voir les populations changer" et à la dimension raciste du thread incriminé.

Car en réalité, "voir les populations changer", c'est ce qui arrive en permanence d'une génération à l'autre. C'est normal et inévitable : les jeunes sont différents des vieux, s'habillent autrement, parlent autrement, ont d'autres goûts. Pourquoi donc, dans certains cas, certains y voient-ils un "grand remplacement" ? Parce qu'ils habillent ce changement d'une caractéristique, qui s'appelle tout simplement une vision raciste.

Pourquoi personne n'a-t-il accusé Jean Giono de "grand-remplacer" Marcel Pagnol ? Pourquoi personne ne m'accuse de "grand-remplacer" les Bretons, moi qui vis en Bretagne mais n'y ai pas grandi ? Pourquoi personne n'accuse plus Marie Curie (née Maria Sklodowska) de "grand-remplacer" les scientifiques françaises (de nos jours... mais ce fut le cas à son époque !) ?

Parce que le simple fait de considérer "par principe" une population comme plus légitime qu'une autre pour habiter un lieu relève purement et simplement du racisme.

La référence à la natalité est particulièrement significative. Parler de "taux de natalité + élevés de populations allogènes" est plus qu'édifiant. C'est d'abord former des catégories au sein de la population française (donc former AU DÉPART une hypothèse racialiste) : toute taxonomie, toute classification est politique et subjective (les sciences sociales étudient cette subjectivité depuis lgtps).

C'est ensuite énoncer un pur mensonge (l'INSEE établit que la fécondité des descendantes d'immigrés est la même que celle des femmes sans lien avec des migrations : 1,85 contre 1,86). Ce sont donc deux "Fake SHS", mais elles témoignent de façon éclatante de préjugés racistes.

En fait, en terme de méthode scientifique, poser l'hypothèse d'un "grand remplacement" revient à assumer une vision raciste des habitants de la France. Non seulement les arguments étatsuniens sont une insulte à la science, mais en outre il s'agit bien d'une THÉORIE, et plus précisément d'une IDÉOLOGIE.

Si des journalistes veulent emboîter le pas aux polémistes criminels ayant inspiré un terroriste, qu'ils/elles assument occuper un terrain idéologique, et cessent de prendre les sciences sociales en alibi mensonger.

#NoFakeSHS

[Fin]

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